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Le “job crafting”, et si l’on façonnait le poste autour du candidat ?

Du poste figé au rôle sur mesure

Depuis des décennies, le recrutement repose sur une équation simple : une fiche de poste définie en amont, et un candidat qui doit s’en approcher le plus possible. Mais cette logique montre aujourd’hui ses limites. Dans un marché tendu où les compétences évoluent vite et où les talents aspirent à davantage de sens, pourquoi continuer à enfermer les candidats dans des cases prédéfinies ? C’est ici qu’entre en jeu le concept de job crafting, appliqué dès la phase de recrutement.

De la standardisation à la personnalisation

Traditionnellement, les recruteurs publient une offre détaillant missions, prérequis et critères techniques. Le candidat est évalué sur sa capacité à cocher les cases. Cette approche rationnelle rassure, mais elle néglige une dimension essentielle : la singularité du parcours, des forces et du potentiel de chaque individu. Le job crafting, concept né dans le champ de la psychologie du travail, renverse cette logique. Il ne s’agit plus d’adapter la personne au poste, mais d’adapter le poste à la personne. Cela ne signifie pas d’abandonner toute exigence, mais plutôt d’accepter que la valeur d’un collaborateur se révèle dans l’ajustement fin entre ses compétences uniques et les besoins réels de l’entreprise.

Le recrutement comme co-construction

Concrètement, appliquer le job crafting dès l’embauche, c’est transformer le processus en véritable dialogue. Au lieu de s’en tenir à une description figée, l’entreprise explore avec le candidat ce qu’il peut apporter de singulier, comment ses points forts peuvent enrichir l’équipe et dans quelle mesure les missions peuvent être modulées. L’entretien devient alors un espace de co-construction. On ne cherche pas seulement à valider des critères, on explore des possibles. Cette démarche suppose d’oser poser de nouvelles questions : comment le candidat aimerait contribuer au-delà de ses compétences techniques ? Quelles missions l’enthousiasment le plus ? Sur quels sujets souhaite-t-il progresser ? Autant d’éléments qui permettent de façonner un rôle sur mesure, évolutif et motivant.

Un levier d’engagement et de fidélisation

Les études en sciences du travail sont claires : lorsque les collaborateurs ont la possibilité de modeler leurs missions en fonction de leurs appétences, leur engagement et leur satisfaction s’accroissent. Introduire cette approche dès le recrutement a donc un double impact. D’abord, cela renforce l’attractivité de l’entreprise. Les talents, notamment les jeunes générations, recherchent des organisations capables de reconnaître leur individualité. Ensuite, cela favorise la fidélisation. Un poste pensé sur mesure évolue avec la personne, plutôt que de l’enfermer. L’entreprise limite ainsi le risque de désengagement et de turnover, véritables fléaux dans un contexte de pénurie de compétences.

Une transformation culturelle pour les recruteurs

Adopter le job crafting dès la phase de recrutement ne se résume pas à un ajustement de méthode, c’est un véritable changement de paradigme. Le rôle du recruteur évolue : il ne se contente plus d’évaluer, il devient facilitateur, médiateur et parfois même designer de rôles. Cela suppose une posture d’écoute active, une capacité à détecter les potentiels et à négocier avec les managers pour repenser la structuration des équipes. L’entreprise doit aussi accepter une part de flexibilité et d’incertitude. Recruter ainsi, c’est accepter que la valeur d’un talent puisse se révéler sur un terrain imprévu, que le rôle puisse se redessiner au fil du temps. C’est également une invitation à revoir la notion même de fiche de poste, qui pourrait devenir davantage un cadre qu’un carcan.

Des exemples concrets d’application

Dans la pratique, le job crafting en recrutement peut se traduire par des ajustements simples. Une start-up en pleine croissance peut recruter un profil marketing passionné par la data, et lui confier progressivement des missions d’analyse plus poussées, enrichissant ainsi la fonction initiale. Une entreprise industrielle peut embaucher un ingénieur dont l’appétence pour la formation est forte, et lui permettre de consacrer une partie de son temps à la transmission interne. Une PME peut intégrer un commercial expérimenté qui, au-delà de la vente, souhaite contribuer à la stratégie produit. Dans tous ces cas, l’organisation sort gagnante : le collaborateur est plus engagé et l’entreprise bénéficie d’une richesse de compétences inattendue.

Les limites et précautions à prendre

Bien entendu, cette approche n’est pas une recette miracle. Elle demande un certain degré de maturité organisationnelle et ne peut pas s’appliquer à tous les métiers. Certains rôles très réglementés ou opérationnels laissent peu de marge de manœuvre. De plus, le risque existe de créer une trop grande personnalisation, qui pourrait fragiliser la cohérence d’équipe ou générer des frustrations si les aménagements ne sont pas possibles pour tous. L’enjeu est donc de trouver le juste équilibre entre souplesse individuelle et cohérence collective. Le job crafting ne doit pas être perçu comme un privilège mais comme une philosophie d’adaptation mutuelle.

Vers un futur du recrutement plus humain

À l’heure où l’intelligence artificielle bouleverse les méthodes de sourcing et d’évaluation, il est paradoxalement essentiel de remettre l’humain au centre. Le job crafting dès le recrutement incarne cette évolution : au lieu de chercher des clones, les entreprises choisissent de valoriser l’unicité des individus. Cela ne signifie pas renoncer à l’exigence ni à la performance, mais accepter que la performance naît souvent de la motivation, et que la motivation est intimement liée au sentiment de pouvoir contribuer selon ses forces. En misant sur cette approche, les entreprises se donnent les moyens d’attirer des talents rares, de révéler des potentiels insoupçonnés et de construire une relation plus durable et plus authentique avec leurs collaborateurs.

Le recrutement n’est plus seulement un acte de sélection. Il devient un acte de création. Et c’est peut-être là que réside l’avenir des ressources humaines : non pas remplir des cases, mais écrire ensemble de nouvelles histoires professionnelles.