Véritable homme-orchestre de l’entreprise, le dirigeant croule sous le travail et le manque de temps. Il va devoir devenir chef d’orchestre. Pas si facile de lâcher prise et de faire confiance lorsque l’on ne connaît que soi et que l’on craint de perdre la main. De perdre le pouvoir.
Ça c’était avant. Avant la COVID 19 et le développement inattendu du télétravail pour la partie de la population active qu’il concerne. Avec le télétravail la délégation s’est imposée dans le management, car il devient difficile d’effectuer un contrôle tatillon du travail d’un collaborateur que l’on ne voit pas et dont on contrôle à peine les horaires de travail. Quoi qu’il en soit la délégation ne peut se résumer au simple fait de se décharger sur un collaborateur des tâches ingrates que l’on n’aime pas faire. Ça c’est de l’abus de pouvoir.
Le feu aux poudres
6.30 du matin. Olivier arrive à l’entreprise avec l’espoir de profiter d’une heure ou deux de tranquillité pour abattre la tonne de boulot en retard… Ce moment privilégié du petit matin il va en fait le mutiler par la lecture avide ou compulsive de ses mails, par la prise de connaissance des messages et la gestion des courriers en retard. Il allait commencer l’étude de prix si importante pour l’avenir, lorsque Maurice, son adjoint vient le saluer. Premier d’une longue cohorte d’adeptes du bain de foule matinal. Avec ou sans le sacro-saint café. C’est là que toute personne de l’entreprise en possession d’un problème peut en faire part à Olivier, et ainsi s’en décharger et le laisser se débrouiller avec. Trois responsables de service, 10 cadres et 40 collaborateurs… La récolte de problèmes est généralement bonne ! (Et ça risque de se renouveler le soir avant de partir quand on évoque les affaires de la journée). Mais « c’est si important d’être près du personnel, à son écoute et disponible » ! On doit quand même être capable de s’intéresser aux collaborateurs sans fusiller ses meilleures heures de travail.
En conséquence Olivier n’aura pas assez de temps pour résoudre, informer, planifier, modifier, répondre au téléphone sans compter les mails qui s’accumulent. Pendant ce temps les collaborateurs trouvent « que la stratégie de la boîte n’est pas lisible, que les responsabilités sont floues, et que le boss n’est pas très disponible en ce moment… ».
Heureusement il y a les heures de soirée, quand tout le monde est parti, pendant lesquelles Olivier va enfin se mettre sur son étude de prix. Moment douloureux où il faut choisir entre les promesses faites au client et celles faites à la famille… Ça ne peut plus durer, se dit Olivier.
La délégation en marche
Olivier va devoir d’abord revenir sur lui et s’interroger sur sa mission. Qu’est-ce que je dois absolument faire pour que l’entreprise fonctionne bien ? 20% des tâches vont générer 80% du résultat attendu Le problème vient donc des 80% qui ne génèrent que 20% : il va donc falloir confier des tâches, de préférence les plus chronophages et les plus complètes, à quelqu’un. Ce quelqu’un n’en demandait d’ailleurs pas tant, le plus souvent. Mais il peut aussi voir l’opportunité de se développer et d’accroître ses responsabilités. De toutes les façons il faudra lui expliquer l’affaire et obtenir son assentiment.
Organiser un vrai management en délégation. Olivier va devoir analyser et modifier un certain nombre de comportements chez lui et chez les délégataires.
- Gérer le temps en fonction de ses priorités : management, développement, stratégie. Qu’est-ce que je fais et que je ne devrais plus faire ? Qu’est-ce que je ne fais pas et que je devrais faire ? Ce qui signifie pour Olivier de se défaire des problèmes que lui sous traite son entourage, ou de ceux dont il s’était emparé sans nécessité. Ainsi il va reconquérir son temps, sa liberté et son pouvoir.
- Analyser son style de management : l’histoire de l’entreprise et celle d’Olivier sont généralement celles de l’autorité, de la compétence et du savoir-faire. Le management est direct, efficace. La communication est brève, lapidaire. La menace du « laisse-moi faire, j’irai plus vite que toi » est toujours prête à servir.
Olivier va devoir apprendre à choisir les collaborateurs à qui déléguer et apprendre à leur faire confiance. Entièrement. C’est une vraie formation qui est nécessaire, l’improvisation ne paie pas dans ce domaine.
- Régler le problème de la motivation des collaborateurs de confiance : jusque-là spectateurs éblouis par l’omniscience, l’ubiquité et le rythme infernal d’Olivier ils vont devoir devenir acteurs, forces de proposition et coresponsables de l’action. Sont-ils demandeurs ? En sont-ils capables ? Olivier va-t-il pouvoir soigner son addiction au travail et au stress en s’appuyant véritablement sur ses collaborateurs ?
- Générer l’envie : l’action, le « faire » n’existent que si l’envie, le désir (le changement) est supérieur à la contrainte ou à la peur qu’il génère. Par exemple l’envie de progresser (facteurs motivants) implique de travailler plus et de prendre des responsabilités nouvelles (facteurs contraignants). C’est le délégataire qui trouvera son équilibre.
À ce sujet évoquons rapidement le problème de la rémunération : il est souvent suggéré que nouvelles responsabilités, nouvelle implication vont mériter révision du salaire. Pour ma part je pense que le salaire correspondait déjà à ce travail. Le fait de le faire différemment, va engendrer de nouvelles perspectives et de nouveaux développements chez l’individu qui eux justifieront un changement de traitement de par l’accroissement des compétences ainsi obtenues.
La délégation en pratique : 6 points clés
L’efficacité du manager progresse lorsqu’il délègue à d’autres ses tâches techniques, son métier, qu’il aime tant, pour se consacrer de plus en plus (en proportion) au management et à la stratégie qui sont ses domaines réservés. Ne pas s’y résoudre c’est condamner l’entreprise à ne pas dépasser le potentiel de son dirigeant.
Déléguer quoi ?
En bref : le plus possible.
Déléguer la partie de sa fonction que l’on maîtrise bien et que l’on pourra contrôler facilement. Déléguer des responsabilités précises (même larges) en fixant un objectif à atteindre avec des moyens déterminés. Il n’y a pas de réponse théorique. On délègue ce que l’on veut du moment que c’est un ensemble cohérent de tâches confié à une personne apte à les réaliser et motivée pour le faire et qui en devient responsable.
Déléguer à qui ?
En bref : dès le premier niveau de l’organigramme.
La délégation est d’abord un contrat de confiance : le collaborateur doit vous faire confiance et vous devez avoir confiance en lui. Le délégataire doit être compétent, c’est-à-dire capable de faire face à la mission. Dans le cas contraire il faudra prévoir de le former pour éviter les risques d’échec, le stress ou la démotivation Pour prendre ses responsabilités il devra disposer de l’autonomie et des moyens pour le faire.
Il devient coresponsable du travail confié : il en accepte les objectifs, en connaît les contraintes et connaît les moyens (budget, temps, effectifs…) dont il disposera.
Déléguer c’est définir le cadre
La délégation commence avec l’autonomie, la marge de manœuvre laissée à N-1 pour réaliser le travail. Le délégataire prend donc la coresponsabilité du travail et décide de la manière de le faire. Il ne remet pas en cause le travail lui-même. Il doit connaître les enjeux et les difficultés.
Le résultat attendu doit être défini tant en qualité, qu’en quantité ou en délais. Le suivi est indispensable, mais portera uniquement sur la réalisation des objectifs, les difficultés rencontrées et la préparation de la suite. Le délégant ne doit pas intervenir en cours de route sur la méthode suivie.
Déléguer c’est donner du pouvoir
Le délégataire doit disposer de l’autonomie et des moyens nécessaires à sa tâche. Ce doit être convenu d’avance éventuellement avec un document de cadrage à l’appui. À ce niveau rien ne sert de mégoter. Il faut ce qu’il faut. Le tenir en laisse n’est pas de bonne politique. Mais à l’inverse donner du pouvoir ce n’est pas donner LE pouvoir. C’est ne pas le perdre.
La confiance est l’unique remède au contrôle tatillon qui guette… Et qui peut tout faire échouer. « Je sais qu’il en est capable, je sais qu’il ne va pas s’y prendre tout à fait comme moi, mais il va faire au mieux ». Voilà ce qu’il faut se dire.
« L’art de diriger consiste à savoir abandonner la baguette pour ne pas gêner l’orchestre. » Herbert Von Karajan.
C’est aussi contrôler
Le délégant doit être tenu au courant par des comptes rendus et des points réguliers de l’avancement du travail et des difficultés rencontrées : budgets, délais… La sincérité et la fiabilité de ces points seront un remède à la tentation de tout voir et d’intervenir sans arrêt.
Déléguer c’est évaluer
Il est maintenant important de faire le point et de mesurer l’écart entre objectif et réalisé. Cette analyse donnera les voies de progrès qui feront grandir chacun des interlocuteurs.
La délégation pour développer l’intelligence de l’entreprise
Au fond, apprendre de nouveaux processus, découvrir de nouveaux domaines, acquérir de nouvelles compétences et de nouvelles responsabilités n’est-ce pas faire grandir l’individu ?
Être capable de partager la responsabilité avec un collaborateur en qui l’on a confiance n’est-ce pas faire progresser le capital humain de l’entreprise ?
« Le meilleur manager est celui qui sait trouver les talents pour faire les choses, et qui sait aussi réfréner son envie de s’en mêler pendant qu’ils les font. » Theodore Roosevelt.
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Par Bruno DECOLASSE – Associé Évolution & Transitions – Coaching professionnel
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